[Alain Kewes, Décharge]
J’aide les taupes à traverser est le quatrième recueil de nouvelles de Jean-Louis Ughetto chez le même éditeur. De quoi parler d’œuvre. Mais si j’ose le mot, c’est moins pour le nombre que pour la continuité du style. Et parce je pense qu’Ughetto est à l’heure actuelle l’un de nos meilleurs nouvellistes, à la fois l’un des plus efficaces, en terme d’effets, de maîtrise de la tension narrative, de concision, et l’un des plus troublants, et là ce n’est plus seulement le lecteur qui parle mais l’homme. Il y a dans ce recueil comme dans les précédents une extraordinaire palette de sentiments, de situations humaines et relationnelles exposés avec une justesse de ton, de langue mais aussi de silences, d’ellipses, qui me bluffent. La plupart de ces récits traitent du désir et de ses dérapages. Pudique dans la crudité, violent dans la caresse, désespéré en plein cœur de l’acte amoureux, Ughetto nous peint un monde noir mais tout en nuances. Il y a chez lui, comme chez Raymond Carver, une élégance de la déroute. Cette élégance qu’on sent à l’œuvre dès les titres, lesquels sont autant de promontoires au bord de l’abîme où le regard va se perdre en confondant plaisir et malaise. Je connais peu d’auteurs qui parviennent comme Ughetto à dire cet état de déséquilibre permanent qu’on appelle vivre, faire avec soi, continuer. […]