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Joëlle Basso, Chiens de faïence
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Joëlle Basso n’aime pas tuer le temps. Elle le savoure, autant que possible, avant de nous le donner à lire : des fragments d’enfance ou d’âge adulte épiés par un regard singulier qui en renouvelle les apparences et leur confère une dimension mythique. Ce qui nous frappe, dans ces récits où le lyrisme à la Chandler définit le cadre, ce sont les personnages, tous assurés de leurs bons sentiments, de la justesse de leurs analyses, en dépit du fiasco de leurs entreprises. « Impossible de douter qu’il ressentait tout. Il réagissait à la moindre sollicitation, à ceci près que sa chair ne pouvait pas tressaillir ni ses muscles jouer. Son souffle, inaudible, impalpable, tourbillonnait dans ses poumons et ses bronches sans trouver d’issue. Ce qui se passait en lui restait emprisonné à l’intérieur d’un cercle que personne n’aurait pu rompre. Moi seule savais en recueillir les rythmes silencieux. » |
Adam Biro, Loin d’où revisité
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Budapest, New York, Genève… Au fil des textes, d’un lieu, d’une date à l’autre, apparaît un personnage inlassable, à la fois optimiste et désabusé, tantôt acteur, tantôt témoin d’un quotidien émouvant, tragique, dérisoire. « Tous les ministres de l’intérieur devraient, obligatoirement et de par la loi, faire un stage de réfugié (politique, économique, ethnique, religieux, peu importe) sans argent et sans papiers, mais surtout sans papiers, ou alors avec des papiers maladroitement falsifiés, dans un pays étranger avant de prendre possession de leur portefeuille, de leur fauteuil, de leur chaise roulante, de leur chaise à bascule, de leur chaise à porteurs, de leur chaise percée, de leur chaise électrique, de leur Père-Lachaise, de leurs sbires, de leurs prérogatives, prébendes, avantages en nature et contre nature, du pouvoir ! oh, du pouvoir ! Ce stage coercitif et parfaitement antidémocratique pourrait aussi être imposé aux policiers, en tenue, en civil et entre les deux. » |
Adam Biro, La toile aux vanités
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Le peintre et homme d’affaires Andor Berki remémore dans ce recueil de nouvelles avec sa modestie proverbiale les célébrités qu’il a rencontrées et qui l’ont marqué, façonné : Rembrandt, Vermeer, Monet, Atatürk, Charlot, Doris Day, le Membre ou Dieu. Au passage, il raconte comment il a amassé son immense fortune et l’usage qu’il en a fait. Et la fin du volume reprend l’étude sémio-linguistique du début : comment se rendre à Tours, à Romorantin ou dans le Vercors en dépit de l’obstruction de l’invisible préposée numérique assise dans le répondeur de la SNCF qui ne comprend pas les r tels qu’on les roule en Hongrie. « Une grande pièce, deux toiles. Sur le mur de droite, un autoportrait de Rembrandt. L’un des plus beaux. Rembrandt vieux. Il ne se faisait pas de cadeau. Bien au contraire. Regardez comme je suis vieux et laid. Mes yeux, tristes, pétillent d’intelligence. J’ai compris toute la misère du monde. D’ailleurs, j’y ai participé largement. Les femmes, l’argent, la renommée, la gloire. Notre place dans ce monde. J’ai compris tout cela, et malgré cette compréhension, je n’ai pas été à la hauteur, je n’ai pas été différent de vous. Que d’erreurs. Je n’ai pas pu, ou pas voulu, résister. Aux femmes, à l’argent. À l’attrait de la renommée. À la grossièreté de la réussite, à sa vulgarité. Même moi. […] – Assieds-toi, m’a dit Rembrandt. J’ai demandé la permission de prendre un fauteuil. En face de la peinture. En face du peintre. M. de Lesenseigne a discrètement quitté la pièce. J’ai ramassé mon courage au creux de mon estomac. – Vos Trois arbres… Maître… Tout y est. Moi aussi, j’aimerais, comme vous… L’art, votre technique, le travail des mains, des yeux et aussi du cœur, le savoir-faire, taille et contre-taille, le talent, et aussi le sujet, la vie des gens, le pêcheur, l’arrière-pays, et l’amour, les amants cachés dans le feuillage, le ciel au-dessus. Et l’Au-delà… […] Vous êtes le philosophe assis dans le noir sous l’escalier en colimaçon et vous êtes aussi le tout petit peintre devant l’énorme chevalet… Je ne sais pas comment vous dire… J’aimerais, oh j’aimerais tellement, moi aussi… Moi aussi, je suis un petit peintre devant l’immensité de l’art… Que dois-je faire ? ai-je demandé. – Ce que tu veux. Cela n’a pas d’importance. Seul le geste compte. Et le désir. Nous nous regardâmes longtemps, moi et Rembrandt van Rijn. Je luttais contre les larmes. Il me dit : – Andor, la réalité est décevante. Et la vie n’a aucun sens. Peins. » |
Sarah Bouyain, Métisse façon
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À Bobo Dioulasso – Burkina Faso –, une femme regarde croître le tas d’ordures devant sa porte, une autre balaie sans fin la poussière des rues… Ces vieilles dames africaines au teint trop clair sont des métisses, des orphelines essaimées par la colonisation. Au fil des récits, un incident mineur, une rencontre, ravivent chez elles la douleur sourde avec laquelle elles ont toujours vécu : la négation de leur identité. En écho, de plus jeunes femmes et des fillettes enjambent la mer et se croisent. Au supermarché de Guignicourt, la petite Salimata, fraîchement débarquée du Burkina, tente de se rendre invisible aux Blancs. À Tounouma, quartier de Bobo, Rachel, venue de France à la recherche de son père, devient sans le savoir la « fille-africaine minute ». « Ce n’était pas une enfant bien élevée, car elle traversa la cour sans saluer personne, pas même Jeanne, à qui elle réclama abruptement de l’eau. La vieille femme lui reprocha ses manières mais alla quand même lui remplir une calebasse au robinet. Quand la fille eut fini de boire, elle resta plantée là, laissant brusquement tomber le pagne noué qui lui servait de balluchon. Le paquet chuta sur le sol, manquant d’écraser un poussin qui s’enfuit en pépiant. – Mes parents m’ont chassée, dit-elle. Parce que j’ai piqué la grossesse avec un touriste. » |
Milena Hirsch, Voyageurs éblouis
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Soleils ardents, cités lointaines, cafés, chambres d’hôtels… Des amants séparés s’écrivent d’un bout à l’autre du monde. Afin de mieux s’attendre ou se rejoindre un jour, ils décrivent la passion qui les unit comme l’un des lieux qu’ils traversent. Un otage, emmuré dans une cave, au contact d’un fruit écrasé, à l’odeur acidulée, découvre soudain qu’il fait encore partie du monde des vivants Des voyageurs, hommes ou femmes, se croisent, s’éblouissent un instant à la lumière de l’autre, évitent ou non de s’y brûler… « Elle se retire de la terrasse. En fermant les yeux comme un chat, il sent combien il adore la vie d’hôtel, combien tous ces hôtels où il a vécu un temps plus ou moins court incarnent pour lui autant de centres du monde. Il fait alors le vœu que ce cœur-là ne s’arrête jamais de battre. Ce cœur commun aux voyageurs, aux hommes et aux femmes ardents ou détachés, au travail, perdus, amoureux, inaptes à tout ou magnifiquement accomplis… » |
Lahoucine Karim, Un rêve plus grand que son âge
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Au fond des ruelles de villes marocaines, ou dans leurs faubourgs écrasés de ce soleil qui n’efface pas les misères mais les fige dans un éblouissement, des enfants naissent et meurent, certains s’échappent. Les vieux peuvent encore rêver de leur lutte émancipatrice contre le colonialisme mais pour les jeunes, seul le zodiac en direction de Malaga et le travail dans les serres du sud de l’Espagne semble une perspective radieuse. Encore faut-il survivre à la traversée. – Personne ne peut me dire où se trouve notre cher pays le Maroc ! Un silence de sourds-muets régna dans la classe. Soudain, un élève leva le doigt, les autres se tournèrent vers lui : miracle, quelqu’un allait leur montrer où se trouvait leur pays ! Le maître sourit : – Vas-y Hassan ! Tu as la parole ! – Notre pays se trouve… se trouve près de l’Espagne et non loin de l’Italie. Le cours de géographie se terminait. Les élèves étaient contents d’avoir appris la position de leur pays. Ainsi ils pouvaient le dire à leurs parents et à leurs petits frères. Wahid, ce soir-là, le dit à son père analphabète, puis il sortit le dire à ses amis : le Maroc se situait tout près de l’Espagne et non loin de l’Italie. |
Erika Magdalinski, 21 histoires d’amour délicates
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Erika vient de loin, d’un Nord-Est brumeux et froid. Lorsqu’elle évoque son retour au pays natal, elle se désigne comme la demie-revenue, celle qui ne sera plus désormais qu’à demi-présente. Elle parcourt le monde avec une soif vraie de découvrir, connaître, renaître à chaque étape. Elle ne décrit pas le voyage mais ce moment unique où, ailleurs, on est autre, tremblant de ne plus se retrouver, espérant délicatement se perdre. Vingt-et-une histoires d’amour où l’autre, à jamais absent, se présente comme en un rêve pour pervertir ou nimber le présent de caresses intimes, l’illuminer parfois. « Le soleil levé monte vite. Le monde met en place ses ombres. Accélération. Les ombres glissent. Elvire a trouvé ce qu’elle n’a pas cherché. La lumière se tisse. Le désir se colore. L’envahit. L’angoisse de devoir se séparer de l’inconnu la secoue plus douloureusement que les sursauts du bus. Elle veut rester assise devant lui jour et nuit dans ce même vieux bus. Elle ne veut plus rien d’autre qu’être dans la proximité de l’homme au collier de lotus. » |
Nouvelle Donne, Le chien attaché au poteau électrique
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La nouvelle écrit court mais dit beaucoup. Car elle écrit aussi entre les lignes. Elle ne dit pas tout mais elle en dit assez pour engager le lecteur dans un monde, une histoire qu’il va devoir compléter. Nouvelle Donne, représentée ici par neuf auteurs animateurs de la revue en ligne, en a fait sa spécialité. Rêveuses, désabusées, poignantes, certaines violentes, d’autres loufoques, ces nouvelles entrouvrent une fenêtre sur des pans de vies que nous reconnaissons pour les avoir déjà croisés. Elles font « tilt » avec des moments fugitifs ou marquants qui résonnent quelque part dans l’histoire du lecteur. En les inscrivant il leur est fait justice. Les auteurs : Anne-Elisabeth Desicy Friedland, Corine Sylvia Congiu, Brigitte Niquet, Léo Lamarche, Sophie Germain, Dominique Perrut, Thomas Friedland, Jean-Michel Calvez, Nathalie Barrié. |
Marie-Hélène Prouteau, La ville aux maisons qui penchent
Suites nantaises
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Nantes, la ville, sa forme ou le sentiment qu’elle en donne… Une citadine familière des lieux nous incite à glisser notre main sur ce tuffeau des murs, « Une tendresse nous vient pour cette pierre de fleuve dont est bâtie la ville », à capter dans Les Anneaux de Buren sa matière fluide, vents et remous de marée. Au fil de sa rêverie, la passante dérive, de « la Fabrique des sourds où l’on martelait les tôles de la dure nécessité » aux vestiges du passé négrier ou à la beauté du pont Éric Tabarly, « superbement libre comme la mer ». Dans ce décor vibrant de présences, instants de ville, impressions d’hier et d’aujourd’hui se mêlent. Un poème de Cocteau, un tableau du port par William Turner, un air de musicien des rues, une gravure de Rodolphe Bresdin, un air de Bashung dans une friche industrielle. Point n’est besoin d’être nantais pour entrer dans ce rêve d’une ville. « Dans cette géographie sensitive, déposée au plus profond, la première chose que l’on capte, c’est la douceur sensuelle du tuffeau. On a envie de l’effleurer d’une caresse furtive, cette pierre sans aspérités. Une tendresse nous vient pour cette pierre de fleuve dont est bâtie la ville. Sortie des calcaires marins, elle a sommeillé depuis des temps très lointains, tranquillement momifiée. On le sent : c’est le roman d’une ancienne mer. » |
Jean-Pierre Rochat, Hécatombe, Nouvelles bucoliques
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Décapante peinture de la Suisse profonde contemplée par un berger qui descend parfois de sa montagne et ricane. Il décrit alors simplement, lucidement, comiquement ce qu’il a vu. De Trouchca, le réfugié à queue de bouc, à Barnabé, Firmin, Oscar, et l’abominable oncle Albeure, transhument des personnages hilarants. Les enfants puent, les animaux crèvent, le racisme ordinaire devient extraordinaire et même Dieu délire enfin. De grandes vagues de tendresse tempèrent la férocité de ce tableau. De mouton bêlant on peut alors devenir amoureux, mais loup. « Faites-vous couper les oreilles en pointe, limer les canines en pointe, abandonnez votre regard niais et servile pour un œil farouche et nerveux, dressez la queue. » |
Jean-Pierre Rochat, Mon livre de chevet empoisonné
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Chansons d’amour, hymnes à la joie, paroles de dérision face à la vie, à la mort, parcourent ces textes écrits avant que le coq chante. Les femmes, les bêtes, Dieu, font partie de ce voyage lyrique et désabusé. Après les précédents livres de Rochat, ce Livre de chevet reprend, mine de rien, une parole aussi caustique, et juste un peu plus grave. «…Un amour platonique, le mot est revenu avec le premier étage, plat et tonique, plat du corps et tonique de la tête. Une giclée de son parfum puis elle s’en va. Elle est là dans ce que tu gardes, ses fleurs bleues, son jus d’orange pendant que tu pressais ses citrons frais. J’avais un endroit poétique, situé dans sa petite ville à l’heure de la canicule. L’endroit était tellement érotique que le platonique avait mal aux dents. » |
Jean-Pierre Rochat, Sous les draps du lac
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Jean-Pierre Rochat écrit comme il respire, à pleins poumons, en haut de sa montagne à la belle herbe grasse, dans la partie francophone du canton de Berne. Au petit matin brumeux, alors que persiste la mémoire des rêves, il note ses incursions dans l’étrange, puis sort soigner ses bêtes. Les messages qu’il nous adresse sentent la chèvre, le cheval ou le sapin. Ce sont « les mini-romans de sa vie ». De courts récits, tour à tour narquois, lucides ou graves, par lesquels il nous insuffle sa folie, son appétit d’amour et Omega sa poignante reconnaissance de la mort. Les fêlures insoupçonnées d’un éleveur de chevaux nous « montent au cerveau en finesse ». « La première fois que je vous ai vue, un printemps, je me souviens, un jour de printemps ensoleillé, j’étais dans le parc, sous l’eau, j’étais encore sous l’eau, je jouais avec la neige de pétales de cerisiers, mon amour, tu as soufflé ton odeur dans le tuba, c’était divin, la vie revenait sur la terre. » |
Jean-Pierre Rochat, La clé des champs
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Au fil du temps, des saisons et des jours, Rochat nous embobine de mots qui sentent l’herbe fraîche ou les foins, mots qui ont la saveur d’un fendant frais. Ces textes d’un ton chantant évoquent le vent, la neige, les bêtes et les gens, ceux d’en-haut comme d’en-bas, les femmes et le désir né de leur invocation mythique ou fantasmée. « Le paysage, je me disais en me couvrant pour la nuit, le paysage est comme un bon lit dans lequel on se couche sur un matelas de calcaire et des draps en herbe des pâturages, nous qui avons eu la chance de parcourir le paysage des millions de fois en tracteur maintenant que les chevaux ne font plus que nous regarder. » |
Jean-Pierre Rochat, Le bouc
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Rochat notre ami doit quitter son phare du dessus du lac et descendre dans la vallée. C’est crève-cœur d’abandonner les bêtes, l’ombre des arbres, et la fée qui ne veut pas le quitter que fera-t-elle en ville parmi tant de regards indifférents ? Mais parfois, dit-il, les livres, lire vous rajeunit, mon livre vous sourit, je roulais mon sourire jusque derrière les oreilles.
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Jean-Pierre Rochat, Les mots comme des lapins lâchés dans la nature
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Préface de Claude Harmelle À l’issue d’« un topo de 50 ans d’histoire agricole », cet ex-paysan qui écrit tout le temps maintenant qu’il l’a, le temps, adresse à son lecteur le journal de bord de son avancée tâtonnante dans sa nouvelle vie. « …et je devins de plus en plus urbain, les différences s’estompant et le paysan se serrant dans la peau d’un citadin vieillissant. » Tandis que des fragments d’un passé vivace s’imposent et virevoltent au long de ses journées présentes, la vie lui réserve encore une surprise de taille. « J’admire aussi chez vous l’aisance avec laquelle vous êtes passé des bergères des estives aux bergères des mots, des textes, des conférences, des lectures, des concerts, celles qui vous éditent, vous ménagent des rencontres, élargissent votre public, vos horizons. Oui les mots, pour courir de par le monde ont besoin aussi de bergères. » (Extrait de la préface de C. H.) |
Jean-Pierre Rochat, La plage des pauvres
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Dans l’entre-deux-vies, celle d’avant pleine de risques et de rumeurs, celle d’après où il observe, et goûte « le parfum des réminiscences », Rochat livre les petits riens du quotidien, ces attrape-coeur du cours des jours notés quand tout dort alentour et que remontent impatiemment les mots chassés du jour. « L’aventure était une petite aventure de rien du tout. Petite vie, petites aventures. Au niveau du ressenti c’est pareil, vous êtes riche vous allez à New York en avion, vous êtes pauvre vous allez à Mümliswil à pied. À pied, les sens en éveil. Contemplatif, dépossédé, léger, heureux. Finalement on peut pas faire mieux. Petite faim deviendra grande. » |
De Truong Quang, Les petits-bourgeois
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Il s’appelle Nam, Dan, Xuân ou Phuc. Adolescent puis adulte, de nouvelles en contes il est balloté du Nord au Sud d’un pays en guerre sur près de quatre décennies. Militant, maquisard, simple exécutant ou responsable, il connaîtra les purges, les opprobres, les distinctions, les changements d’orientation idéologiques aux conséquences parfois tragiques. Sa foi en l’humanité et sa fidélité à ses premiers amours en font un être fragile, anachronique et émouvant dans une histoire pleine de bruit et de fureur.
« On n’y peut rien, dit Phuc avec un soupir, une fois que la roue de l’histoire tourne, elle écrase tout ce qui se trouve sur son chemin, même des choses très positives. Rien ne peut l’arrêter ni la faire changer de destination. » |
Jean-Louis Ughetto, Ils font tomber les arbres du mauvais côté
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D’Abidjan à Bangkok, Alger ou Paris, escale après escale, des fragments d’histoires saisies entre deux camions, deux bateaux ou deux pannes d’ascenseur. Comme dans un kaléidoscope, les personnages se figent un instant, surpris, épinglés par le plaisir ou le malentendu, pressés de poursuivre ou de fuir leurs fantasmes, puis le tableau se décompose et change. Autour du récit résonnent l’avant et l’après de ces vies entrevues, machine grinçante, la vie continue. « Parfois j’ai l’impression qu’une puissance maléfique nous guette. Elle nous observe quand on s’agite dans la boue. Elle a regardé le vieux griffer la tôle en crevant et ça l’a fait marrer. – C’est Dieu dont tu parles, glousse Pierrot. Il épluche son œuf et le sale. » |
Jean-Louis Ughetto, Indécis soit-il
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Une mine d’or à l’orée du désert. Afin d’extraire le précieux minerai on utilise du cyanure, qui empoisonne les marigots alentour. Pour l’instant, ce sont les zébus qui crèvent. Du côté d’Aden, une femme va mourir en accouchant de son seizième enfant. Plusieurs jours de chameau jusqu’à l’hôpital. Un homme malade, fuyant Paris où il devrait entreprendre un traitement, élit comme ultime refuge une plage du Mexique nommée Playa de los Muertos. D’autres lieux encore : le delta de l’Orénoque, une plantation d’oliviers en Provence… Onze récits violents ou tendres, traversés par des personnages féminins qui crèvent l’écran — Capé l’Indienne, Alice la compagne du narrateur… Onze histoires qui nous entraînent avec humour et crudité dans un univers cruel et plein de surprises. « Les jours d’harmattan c’est pire encore, cela devient viscéral, je déteste le Patron. Sa Mercedes surgit toujours à l’improviste. Elle franchit en klaxonnant les barbelés du poste de garde à l’entrée de la mine. Elle stoppe au milieu du parking désert des invités, soulevant le peu de poussière rougeâtre qui ne volait pas déjà. Alors il ouvre la portière et descend, un cigare à demi consumé entre ses dents blanchies au bicarbonate. » |
Jean-Louis Ughetto, J’aide les taupes à traverser
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Au cœur de la plupart de ces nouvelles, qu’elles traitent de l’adolescence ou de la maturité, il y a les inventions du désir et ses multiples dérapages. Des personnages passent, hésitent, désorientés par la rudesse des rencontres et leur propre incapacité à décoder le regard d’autrui. Entre plaisir de la causticité et art de la concision, on retrouve les acteurs – sceptiques et crédules, cyniques et sentimentaux – de ces mini-drames, à jamais ancrés dans leurs contradictions. « –Tu m’écoutes ? Oui, bien sûr, il l’écoute. Sa voix est enrouée, un début d’angine, précise-t-elle. Une autre station. La fille s’impatiente. Elle prend l’initiative. Elle plaque ses lèvres aux siennes. Pétrifié, il ne pense qu’à ce début d’angine dont elle lui a parlé. Lorsque la rame décélère, elle se décolle et chuchote. – Je suis arrivée. À demain. Sa voix enrouée. La rame s’immobilise. Pardon, pardon. Elle joue des coudes et descend, l’abandonne, le visage en feu, au milieu des voyageurs. C’est court, trois stations, pour comprendre une femme. » |
Jean-Louis Ughetto, Le chien U
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Des histoires a priori quotidiennes où soudain, entre deux mots, se glisse une dissonance. L’horizon bascule. L’anecdote grince un instant. Confrontés à l’ironie du sort, les personnages s’empêtrent dans leurs contradictions. De l’obéissance à la révolte, de l’ennui à la sensualité brutale, du fatalisme à l’humour noir et la déprime, ils esquivent pour mieux rebondir ou s’enlisent. « Epifanio m’accueille comme si j’étais son fils. Il me propose une bière. Je lui demande du café. Longtemps, je surveille la tasse avant d’y toucher. – Bois, me dit l’oncle, ça ira mieux. – Où sont les autres, j’interroge. Où est Capé ? D’un geste vague, il montre sur le fleuve les barges des mineurs. Les mineurs et la prostituée. Je trouve le café imbuvable. – C’est difficile de gagner sa vie quand on n’est pas dans la police, admet Epifanio. » |
Jean-Louis Ughetto, Un impérieux désir de fuir
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Les rives de l’Orénoque à la saison des pluies, une fondrière en travers d’une piste africaine, un wagon de TGV stoppé en rase campagne… À la fois décors et pièges. Dix récits narquois, voire cyniques, nourris de petits riens qui dégénèrent, d’indices annonciateurs de catastrophes frôlées ou accomplies. Une morale s’esquisse, équivoque, entre ce qui aurait pu être et ce qui a été. « Il pense qu’il n’a jamais séduit une femme à jeun. Ou plus exactement, qu’à jeun, il n’a jamais séduit une femme. Parce que lui, ivre, a séduit des femmes à jeun. Donc responsables de leurs actes. Qui l’ont aimé comme il était. Ivre. C’est réconfortant. D’ailleurs, il a également séduit des femmes ivres. Pour un peu, il s’assoupirait. Il baille. » |